JULIE CHEZ LES NIPPONS

Discriminations en pagaille 25 septembre 2010

Filed under: Faits divers — julie.l @ 6:11

Dû à des chocs nauséeux expérimentés dernièrement, je me vois obligée aujourd’hui de vous parler des discriminations « ethniques » au Japon. Ca risque d’être long! 

 Avant toute chose -je me protège en cas d’attaques!- j’admets qu’un article similaire sur les discriminations ethniques en France serait tout aussi long!! Malheureusement. Avis à mes con-citoyens, prouvez-moi que vous avez changé en 2012!

Mais la France n’est pas l’objet de ce blog, alors revenons à nos nippons.

Selon un rapport de l’ONU datant de 2008, les communautés les plus touchées par le racisme et la xénophobie au Japon sont :  -les Buraku, les Ainou, l’ethnie d’Okinawa; -les descendants des anciennes colonies japonaises (Coréens et Chinois); -et enfin les nouveaux migrants d’Asie, d’Afrique, d’Amérique du Sud, et du Moyen Orient.

En France nous sommes des grands habitués des discriminations envers ces deux dernières catégories, mais là je voudrais surtout vous parler du premier groupe.

Je vais tout de même vous dire quelques mots sur les Coréens, car j’ai une anecdote avec une de mes élèves. Lors de la colonisation japonaise en Corée, les Coréens sont devenus des sujets à la merci des nippons, 5.4 millions de Coréens ont été ainsi dispersés à travers l’empire en travail forcé. D’autres poussés à fuir la misère corèenne -causée par les politiques japonaises- ou à fuir le massacre de l’île de Jeju et la guerre de Corée vont venir au Japon. La plupart de ces Coréens vont retourner au pays une fois les guerres finies, mais une partie va rester. Le Japon n’autorisant pas la double nationalité, et n’autorisant la naturalisation qu’à condition de prendre un nom japonais (subtile humiliation), la plupart de ces Coréens vont choisir de conserver leur nationalité. C’est pourquoi aujourd’hui encore, parmi les 900 000 Coréens vivant au Japon, 284 000 se sont naturalisés et 515 000 n’ont que le statut de « résidents permanents ». Ces Coréens sont appelés les Zainichi (résidents au Japon). [faits divers: la communauté nord-coréenne japonaise enverrait près de 200 millions de dollars par an en Nord-Corée. Il existe 218 écoles nord-coréennes au Japon et 1 université]. Beaucoup de Coréens, pour limiter les discriminations utilisent un nom japonais dans la vie courante, la plupart vont dans des écoles japonaises et ne parlent plus coréen…  Je n’ai pas encore vu ou entendu quoi que ce soit par rapport aux Coréens, et la Corée a -il me semble- beaucoup plus la quote que la Chine, ça c’est clair! Et contre les Chinois j’en ai entendu des choses. Et pourtant, malgré tout, une de mes élèves m’a avouée après 9 mois, qu’elle était coréenne. Je suis restée sur le cul. Elle m’a dit qu’elle n’aimait pas le dire aux gens, et m’a fait comprendre de ne pas le répéter. Depuis qu’elle a 5 ans, ses parents lui ont plus ou moins interdits de parler coréen, l’ont forcé à dire « maman » en japonais, pour être assimilé au maximum. Sa famille a de l’argent, elle a fait des études, étudié en Angleterre, intelligente, elle a un travail…mais elle a visiblement encore besoin de cacher ses origines.

 

Passons aux Ainous. L’ethnie aborigène, arrivée au Japon en -1300, soit 1000 ans avant l’arrivée des WA -les Japonais actuels- arrivés de Corée. Les Ainous étaient de type caucasien, un mélange Asie Centrale, Russie et Mongolie. Au fil de l’histoire les Ainous ont été discriminés, rejetés, refoulés au Nord du Japon, à Hokkaido, l’assimilation forcée à également fait disparaitre leur culture. On ne compte aujourd’hui que 150 000 Ainous, mais beaucoup cachent leurs origines ou ont cachés leurs origines à leurs propres enfants pour se protéger du racisme. Depuis 1960, les associations Ainoues ne cessent de plaider pour leur droit à la différence. Finalement, en 1997 une loi pour la promotion de la culture Ainoue est passée, des musées sont créés, la culture ainoue apparait dans les manuels scolaires, un journal en langue ainoue est publié… Aujourd’hui ils subiraient encore des discriminations, mais vu qu’ils sont concentrés à Hokkaido, je connais très mal la question.

 

Enfin. Je veux surtout vous parler des Burakumin. Mais pour ça, désolée, il va falloir que je vous fasse un petit cours d’histoire japonaise -dans la mesure de MON possible-, pour que vous compreniez la construction mentale de cette discrimination (qui fout la gerbe! … oups pardon ça m’a échapé).

Tout a commencé durant la période de Sengoku, 15ème et 16ème siècle, le pays est divisé en clans qui se font une guerre continuelle. Trois hommes vont réussir à unifier le pays : Oda Nobunaga, Toyotomi Hideyoshi, Ieyasu Tokugawa. Le clan Tokugawa va sortir vainqueur de ces siècles de luttes, instaurant l’ère EDO 1603-1867. Edo en quelques mots : fermeture du Japon, interdiction aux étrangers de s’approcher du Japon, interdiction du christianisme, mais surtout, pour le problème qui nous interesse ici, création d’une système hierarchique de castes. On peut dire que tout cela résulte de stratégie politique plus que d’une réelle idéologie, ils voulaient avant tout assurer l’unité du pays -avec eux au pouvoir évidemment- et ont tout fait pour controler la population, éviter toute ascencion d’un possible clan rival. L’ère MEIJI va succéder aux Takugawa, et abolir en 1871 le système de caste, pourtant 140 ans plus tard, dans le Japon d’aujourd’hui le plus grande discrimination ethnique du Japon reste encore une conséquence de ce système.

Ce système a été pensé par Toyotomi Hideyoshi. Lui-même issu d’origines modestes, fils de fermier, il a exercé diverses professions avant d’être à 20 ans le domestique d’un samourai qui va le prendre sous son aile. 30 ans plus tard il deviendra Premier Ministre! Afin de contrôler la population, et bien conscient de par sa propre expérience des capacités des « petites gens », il va penser un système de quatre castes : les samourai, les guerriers, étant en haut de la hierarchie; suivis des paysans (ceux qui créent) ; puis les artisans (ceux qui transforment) et enfin en bas de l’échelle les marchands (ceux qui ne font rien si ce n’est gagner de l’argent!). Grâce à ce système ils vont pouvoir interdire le port d’armes par d’autres castes que celle des samourai, et ainsi exiger le désarmement des paysans. Limitant les rivaux possibles. Ce système instrumentalise des idées bouddhistes qui considèrent comme sales l’argent et … le sang à des fins stratégiques. Ils ne vont donc pas s’arreter là, et créer les « hors caste », les burakumin (« habitants du hameau »). Les burakumin sont constitué de 2 groupes les Eta (« plein de souillures »), et les Hinin (« non-humain »). Les Hinin comptaient les mendiants, les saltimbanques, les criminels, le bas de l’échelle, MAIS leur appartenance à ce groupe n’est pas héréditaire, elle dépend de leur activité comme toutes les autres castes, donc on pouvait sortir de cette caste. Pour les ETA, c’est complètement différent, ils ont été déclarés ETA il y a 200 ans et donc toute leur descendance est encore aujourd’hui considérée comme BURAKU, aucun moyen d’en sortir quelque soit leur situation professionnelle ou économique. Dans le Japon d’aujourd’hui les castes ont disparu en majeure partie, deux castes perdurent malgré tout, officiellement ou officieusement : la caste impériale et les buraku. La notion de Buraku n’a aucun fondement religieux, racial, économique ou social, donc je n’arrive absolument pas à saisir comment cet élément peut encore avoir autant d’importance dans la société, ça me dépasse. La seule chose qu’ils ont en commun c’est que leurs ancêtres ont exercés à un moment la même profession, c’est hallucinant. Les ETA étaient à l’origine les gens qui travaillaient « le sang », c’est à dire ceux qui travaillaient dans les abattoirs, les tanneries ou les boureaux, des tâches considérées indignes. Fait qu’il est important d’ajouter pour expliquer la création de cette caste, selon les historiens actuels, il semblerait que les rivaux aux fondateurs de l’ère EDO, ceux qui constituaient des menaces potentielles ont été désarmés, déplacés, et forcés de travailler dans « le sang », de devenir des ETA, les rendant inoffensifs. Cette caste semble n’avoir été créée que pour immobiliser les opposants à un pouvoir il y a 200 ans, et pourtant….

pourtant en 2010, aujourd’hui, les parents d’un ami de Keisuke s’opposent au mariage de leur fille, car elle veut épouser un descendant de BURAKU. En plus ces parents sont professeurs. A l’école au Japon ils ont des cours dédiés à la question des Buraku, et on leur rabache de ne pas les discriminer, et voilà ce que ces profs font… La honte! La gerbe! 

Les ETA vivaient à part, dans les campagnes ou dans des ghettos dans les grandes villes (aujourd’hui encore certains de ces quartiers subsistent), ils étaient évités par le reste de la population, ils avaient leurs propres temples car ils étaient interdits d’aller dans les autres, interdits de posséder des rizières ils étaient refoulés souvent au bord des rivières, interdits de dîner en ville, ils devaient retourner dans leur quartier à la tombée de la nuit, la discrimination était encouragée, c’était un moyen de contrôle sur cette population, les noms post-mortem (cf mon premier article, après la mort, les moines donnent un nouveau nom au défunt) des Buraku composaient souvent les caractères « bête », « ignoble », « servant »… En 1859, un magistrat déclare « un Eta vaut 1/7 d’une personne normale ».

Avec la Suiheisha d’avant guerre et la Buraku Liberation League d’après guerre, les buraku s’organisent pour lutter pour leurs droits, Jiichiro Matsumoto est considéré comme « le père de la libération des Buraku ». Dans les années 60 des campagnes de rénovation des ghettos buraku sont menées, plus tard dans certaines régions du Japon des lois sont passées pour permettre aux Buraku de recevoir des pensions de compensation aux discriminations subies. Ce système est malheureusement -j’ai l’impression- l’une des raisons des préjugés persistants envers les buraku aujourd’hui, ils sont vus comme des gens qui ne font rien de leur journée mais perçoivent des pensions de l’Etat (et vers Fukuyama, j’ai l’impression qu’ils sont vus comme des gens dangereux, je vous répete ce qu’une japonaise m’a dit :  » si tu dis le mot buraku en public, ils peuvent venir chez toi et brûler ta maison, ou enlever tes enfants ». no comment. J’ai trouvé un autre chiffre, 60% des yakuza du pays serait descendants de buraku).  Pour pouvoir toucher ces pensions il faut cependant se déclarer ouvertement Buraku, ce que beaucoup préfèrent ne pas faire et continuent à cacher leurs origines, ce que je comprends, car quelque part, dire même « je suis buraku » ça ne veut rien dire, ça n’a aucune signification concrète -si ce n’est les potentielles discriminations subies.

Aujourd’hui il y aurait 3 millions de Buraku au Japon. La plupart dans l’ouest du pays. La discrimination est la plus importante dans les villes de Kyoto et Osaka et dans les province de Hiroshima (!) et Hyogo. La discrimination est surtout flagrante au moment des mariages, mais aussi dans la recherche d’emploi et parfois même de logement.

Il y a 10 ans, quand K était à l’université, un soir, un de ses amis lui a révélé son grand secret « je suis buraku », à Fukuyama la situation des buraku est un peu particulière, donc pour K ça n’avait rien de particulier d’entendre quelqu’un dire ça, mais apparemment pour son pote c’était un truc super dur à dire. Après ils ont un peu parlé de ça, et ce mec lui a expliqué qu’il n’arrivait pas à trouver de petits boulots parce qu’il était descendant de Buraku.

Il n y a jamais eu de premier ministre japonais descendant de Buraku, les descendants de Buraku sont de fait interdits dans la police impériale et à la préfecture de police de Tokyo…

Mais comment savoir qui est Buraku me direz-vous? C’est là toute l’astuce. En 1975, un livre a été sercretement édité à Osaka et acheté par les plus grandes entreprises du pays et par les agences chargées de vérifier les origines des futurs mariés (et oui les famille payent le service de ce type d’agence pour rechercher le pedigree des futurs conjoints de leurs enfants), ce livre recensait tous les noms de famille de Buraku et leurs lieux de résidence. Ce livre est aujourd’hui interdit, mais les exemplaires d’origine circulent toujours ( même des gens comme K., ses parents lui ont appris certains noms de famille de Buraku, donc il pense que certains de ses amis proches sont peut-être descendants de Buraku, mais jamais il ne pourra en parler ouvertement avec eux, c’est un sujet ULTRA tabou, K. m’a conseillé de ne même pas prononcé ce mot en public). La vérification des origines familiales est également devenue illégale et bien qu’elle soit de moins en moins pratiquée, elle a toujours cours dans certaines familles. On dit que pour les jeunes d’aujourd’hui, 60 à 80% des buraku se marient avec des non buraku, alors que pour les personnes âgées de 60 ans aujourd’hui, ce n’était vrai que dans 10% des cas.

Donc ça s’arrange… mais y a encore du chemin à faire…

 

 

 

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